Les origines de Rocamadour. Elles sont assez mystérieuses car très anciennes et ne sont plus documentées par aucune archive subsistante à cause des guerres dites « de religion » du XVIe siècle. Rien ne nous permet plus de connaître les raisons qui poussèrent des pèlerins, au moins à partir du IXe siècle, à venir, parfois de fort loin, pour prier dans ce paysage solitaire et difficile d'accès. Outre les lieux, seule nous reste la légende, habituellement le moyen de rapporter une réalité qu’on ne comprend plus. Le site ne s’est pas organisé en un jour, il est le produit d’une histoire. Qui est arrivé le premier ? Sans doute un ermite, puis d'autres à sa suite, ou simultanément. L’endroit, appelé « Val ténébreux » était tout ce qu'ils pouvaient désirer pour mener leur vie de prière et de solitude : un espace immense à l'abri des regards, une rivière et des grottes creusées dans une falaise bien exposée à la lumière. Une cloche du VIe siècle nous donne un premier repère historique. L’érémitisme a été la première forme de vie consacrée ; et des disciples s’étant regroupés autour des ermites, elle a évoluée en monachisme (du grec : « monos », seul, solitaire). Les premiers monastères ont ainsi été des regroupements d'ermitages, ce qui est encore la caractéristique des abbayes de Chartreux.
Une attractivité croissante. Les Bénédictins, qui prirent la suite des ermites, entreprennent les premières grandes campagnes de construction, et organisent le paysage autant qu'ils le peuvent dans le but d’accueillir des pèlerins de plus en plus nombreux. Ces derniers affluent de plus belle à partir de 1166, suite à la découverte d’un corps « miraculeusement » intact, qu'on a alors supposé être celui d'un ermite nommé Amadour (du latin « Amator »). Robert de Thorigny, abbé du Mont Saint-Michel à partir de 1154, en rapporte les circonstances à l'occasion du pèlerinage d’Henri II Plantagenet (1133-1189), roi d’Angleterre et seigneur d’Aquitaine depuis son mariage avec la duchesse Aliénor : « L’an de l’Incarnation 1166, un habitant du pays, étant à ses derniers moments, commanda aux siens, sans doute par une inspiration de Dieu, d’ensevelir son cadavre à l’entrée de l’oratoire. En creusant la terre, on trouva le corps d’Amadour, bien entier ; on le plaça dans l’église, près de l’autel, et on le montra ainsi, dans son entier, aux pèlerins. Là, se font par la bienheureuse Marie, des miracles sans nombre. »
La construction du site. La réputation de Rocamadour se répand alors fort loin et le pèlerinage commence à prendre rang parmi les grands lieux spirituels du Moyen Âge. Une campagne de construction ambitieuse lui donne dans les grandes lignes l’aspect qu’on lui voit aujourd’hui. Le grand escalier, véritable lieu d’ascension spirituelle et de mortification (jusqu’à une époque récente, tous les pèlerins le gravissaient à genoux), conduit les pèlerins de la ville basse au parvis. Ils découvrent alors un vaste espace dégagé entouré de sept églises ou chapelles, la plus grande étant la basilique Saint-Sauveur, l'ancienne église abbatiale, et la plus importante, la chapelle où est conservée depuis huit siècles la statue de la Vierge de Rocamadour. La plupart des bâtiments ont été construits aux XIe et XIIe siècle, sous l’abbatiat de Géraud d’Escorailles, abbé de Saint-Martin de Tulle (1152-1188). Ils ont été plus ou moins restaurés lors de la campagne de sauvetage du milieu du XIXe siècle.
La Vierge Marie et Rocamadour. Dès son origine, ce site est dédié au culte marial. Il y eut d'abord un petit oratoire : une humble grotte qui, après avoir été le refuge probable d'un ermite, est devenue le cœur de la cité religieuse. Écrasé par des éboulements de la falaise dans laquelle il s’insère et qui le surplombe, cet oratoire a été plusieurs fois reconstruit (notamment après un incendie en 1476) et agrandi, jusqu'à devenir la chapelle Notre-Dame, ou « chapelle miraculeuse », de style gothique flamboyant. La statue qu'elle contient est une vierge noire du XIIe siècle, constituée de deux pièces de bois de noyer : Marie elle-même, aux mains tendues et au léger sourire, et l'Enfant-Jésus, assis sur son genou gauche. Elle est particulièrement vénérée le 8 septembre, fête de la Nativité de la Vierge. Le Livre des miracles (1172), récit de 126 grâces obtenues par l'intercession de Notre Dame de Rocamadour, est un éclairage saisissant sur la foi de ce « beau XIIe siècle » qu'on a coutume de considérer comme l'âge d'or de la chrétienté. C'est en quelque sorte une œuvre publicitaire, dont le but est d'attirer vers le sanctuaire un nombre grandissant de pèlerins, mais par un souci d'objectivité et de discernement assez exceptionnel pour l'époque, il ne retient que des cas dûment exposés devant notaire.
Un lieu spirituel pour les plus grands. Rocamadour situé aux confins du comté de Toulouse (puis des territoires directs du roi de France) et du duché d’Aquitaine devient un enjeu spirituel entre les monarchies française et anglaise. Vinrent à Rocamadour tous les rois de France du XIIe siècle jusqu'à Louis XI (en particulier saint Louis, ses frères, sa mère, Blanche de Castille en 1244), Henri II d'Angleterre (1159 -1170) qui vint remercier de sa guérison d’une maladie grave, Aliénor d’Aquitaine, Alphonse III de Portugal, des saints comme saint Dominique (1219) et saint Antoine de Padoue (vers 1224), Christophe de Romagne, compagnon de saint François d’Assise, Raymond Lulle, le navigateur Jacques Cartier… Notre Dame de Rocamadour a été présente aussi dans tout le mouvement de « reconquête » de l’Espagne sur les Maures. Ainsi en 1212, son étendard était déployé à la célèbre bataille de Las Navas de Tolosa. Mieux, c’est la vue de cet étendard qui aurait redonné le courage aux troupes chrétiennes inférieures en nombre de repartir à l’assaut et d’obtenir la victoire.
Le déclin du sanctuaire. Le sanctuaire a aussi traversé des moments difficiles. Au XIIe siècle, il est pillé par le fils d’Henri II Plantagenêt, Henri au Court-Mantel, qui cherche des richesses pour poursuivre la guerre qu’il mène à son père. Rocamadour, qui entre-temps s'est fortifié, traverse la Guerre de Cent ans (XIVe et XVe siècles) à peu près sans encombre. Mais comme le Limousin et le Quercy sont devenus des champs de bataille, les pèlerins, découragés de venir, se font rares. Le pèlerinage connaît alors un certain déclin.
Les « Grands pardons » de Rocamadour. En 1317, le pape quercynois Jean XXII érige l’abbaye de Tulle en évêché. Les moines sont remplacés par des chanoines qui assurent le service du pèlerinage jusqu’à la Révolution. En 1428, Charles VII, encore petit « roi de Bourges », en grand danger de perdre son royaume, demande au pape Martin V d’accorder des indulgences particulières aux pèlerins de Rocamadour et prie pour être sacré à Reims. Quelques mois plus tard, démarrait. C’est le temps de l’épopée de Jeanne d’Arc. Ainsi, naît la tradition des « Grands pardons » de Rocamadour. À cette époque, se répand la légende sans fondement historique identifiant saint Amadour au collecteur d’impôts Zachée de l’évangile. En 1562, Rocamadour est pillé par un chef de bande nommé Bessonies, au service du chef protestant le prince de Condé.
La renaissance de Rocamadour. Le pèlerinage n’est pas à proprement parler une étape sur la route de Saint-Jacques de Compostelle, mais, pour les marcheurs de Dieu, il a toujours représenté un détour de prière et de repos dont l'attractivité ne se dément pas. Ici, comme au XIIe siècle, la Vierge Marie assise en majesté attend les visiteurs et offre son Fils au monde (plus d’un touriste se transforme alors, ne serait-ce que pour quelques instants, en pèlerin. N’est-ce pas un miracle sans cesse renouvelé ?). Elle est à la fois la Reine de la paix, et celle qui délivre les prisonniers repentis ou injustement enchainés. La renaissance de Rocamadour s’est accomplie au XIXe siècle. C’est d’abord un prêtre diocésain de Paris, l’abbé Caillau, qui fait bâtir l’édifice appelé « château », pour servir de résidence aux missionnaires diocésains, parmi lesquels le bienheureux Pierre Bonhomme (1803-1861), natif de Gramat près de Rocamadour, fondateur de la congrégation des Sœurs de Notre-Dame du Calvaire qui assurent toujours l’accueil. L’abbé Caillau s’attache surtout à la rénovation spirituelle du pèlerinage, qui se poursuit sans faiblir sous les évêques Mgr d’Hautpoul, Mgr Bardou et Mgr Grimardias. Le maître-d’œuvre et concepteur principal des restaurations fut un prêtre de Montauban formé à l’École du célèbre Viollet-le-Duc, l’abbé Chevalt (1817-1876).
Et aujourd’hui ? L’afflux des visiteurs n'a pas cessé, bien au contraire. Aux pèlerins, se mêlent des touristes : actuellement plus d’un million et demi de visiteurs chaque année. Plusieurs personnalités de premier plan sont liées à l'histoire récente de Rocamadour : Edmond Michelet, résistant, ministre du Général De Gaulle, qui venait chaque année en pèlerinage à pied depuis Brive avec sa famille. Autre exemple, le compositeur Francis Poulenc, auteur de la célèbre litanie de la Vierge noire de Rocamadour, qui doit au site lotois presque toute l'inspiration de sa musique religieuse. Ainsi depuis toujours, les pèlerins, puissants ou misérables, célèbres ou anonymes, gravissent les escaliers reliant le bas de la ville aux sanctuaires de Rocamadour, en une démarche de pénitence que certains parfois accomplissent encore à genoux, gardant « l’espérance ferme comme le roc ».