L’évêque de Mostar, dont dépend Medjugorje (petite paroisse catholique de 5 000 âmes créée en 1892), Mgr Pavao Žanić, aura d’abord une attitude très favorable. Puis, mystérieusement, il se rétractera pour s’y opposer farouchement. Aurait-il subi lui aussi des intimidations de la part du régime communiste ? Très probablement. La région est aussi marquée par une forme de clivage entre le clergé séculier et le clergé religieux, essentiellement franciscain. Ces derniers sont profondément aimés par la population qui leur voue une grande reconnaissance pour leur zèle durant les siècles d’occupation ottomane. L’évêque est aussi marqué par ce clivage. Avec l’arrivée de plus en plus massive de pèlerins du monde entier, Rome prendra tout cela très au sérieux. La conclusion du Vatican sera sans équivoque : le point de vue de l’évêque de Mostar est considéré comme un avis personnel, trop subjectif, et ne peut être considéré comme un avis officiel de l’Église. Fait rare dans l’histoire des apparitions, cet évêque se verra enlever son autorité quant au discernement à propos de celles-ci. Pour suivre les événements, une commission sera créée ; elle sera composée de plusieurs évêques de la région. La déclaration de cette commission réunie à Zadar, le 10 avril 1991, affirme entre autres : « Sur le fondement des recherches effectuées jusqu'à présent, on ne peut affirmer le caractère surnaturel de ces apparitions ou révélations. »
Des faits surnaturels ou non surnaturels ? Il faut rappeler ici que le droit canon établit une distinction entre :
- le « Constat de non supernaturalitate » (il est établi qu’il n’y a rien de surnaturel),
- le « Non constat de supernaturalitate » (le surnaturel n’est pas établi),
- et le « Constat de supernaturalitate » (il est établi que c’est surnaturel).
La commission de 1991 n’a donc pas dit qu’il n’y avait rien de surnaturel, mais que le surnaturel ne pouvait pas encore être établi. Cette position prudente est tout à fait compréhensible car, à ce moment-là comme aujourd’hui encore, plusieurs voyants affirmaient continuer à bénéficier d’apparitions quotidiennes de Notre Dame. Il est donc normal, et même souhaitable, que l’Église ne prenne pas le risque d’émettre un avis favorable au sujet d’un phénomène qui n’est pas encore terminé et dont on ne peut donc pas prendre encore toute la mesure.
Cependant, à partir de cette période, les désinformations ont commencé à circuler à propos de Medjugorje et insinuaient que l’Église s’était opposée à Medjugorje, interdisant de s’y rendre. Ces rumeurs ont été relayées par l’évêque du lieu, mais aussi par son successeur Mgr Ratko Perić, choisi en plein conflit armé dans les Balkans. Ce deuxième évêque non plus n’avait pas de pouvoir décisionnaire à propos desdites apparitions, mais continuait à répandre son point de vue personnel et négatif. Le Vatican a démenti ces fausses informations en précisant que si les pèlerinages officiels (par les diocèses et accompagnés par les évêques) ne pouvaient être organisés, tous les fidèles pouvaient se rendre en ce lieu et il était du devoir des prêtres de les accompagner pour qu’ils puissent recevoir sur place les sacrements, ainsi qu’un accompagnement. Malgré les démentis, les rumeurs ont pris le dessus dans beaucoup de pays – dont la France –, relayées par des médias chrétiens réputés dignes de foi. Le mal était donc fait.
Une nouvelle commission, présidée par le cardinal Camillo Ruini, a été nommée par le pape Benoit XVI le 17 mars 2010. Le travail de cette commission a été remis au Saint Siège après 4 ans d’enquête, mais les conclusions n’ont pas été dévoilées. Le 11 février 2017, Mgr Henryk Höser, évêque émérite de Varsovie-Praga en Pologne, fut nommé envoyé spécial du Saint Père à Medjugorje. Pendant la mission de Mgr Höser, le pape François a eu l’occasion de répondre à des questions dans l’avion qui le ramenait de Rome à Fatima, le 13 mai 2017. Il a dit que certains points le gênaient personnellement à Medjugorje, mais que cela n’engageait pas la position officielle de l’Église et qu’il prenait la question de Medjugorje très au sérieux. Après une visite pastorale de plusieurs mois, Mgr Höser fut nommé le 31 mai 2018 visiteur apostolique pour la paroisse de Medjugorje, pour une durée indéterminée. Si Mgr Höser n’a pas pour mission d’étudier le phénomène des apparitions et donc de se prononcer à leur sujet, il est chargé cependant du soin pastoral des habitants de ce village ainsi que des pèlerins dont le nombre est évalué à 2,5 millions chaque année. Le jugement de l’Église n’est donc pas encore définitivement tranché.
Les voyants. Les voyants sont les mêmes depuis le premier jour : quatre filles et deux garçons. Ivanka, Mirjana, Vicka, Marija, Ivan et Jakov. Tous mariés aujourd’hui, plusieurs d’entre eux ne vivent pas toute l’année à Medjugorje, ayant épousé des personnes de différentes nationalités. Trois d’entre eux disent continuer à avoir des apparitions quotidiennes : Ivan, Vicka et Marija, qui reçoit le message mensuel transmis au monde entier le 25 de chaque mois. Les autres ont une apparition annuelle et Mirjana une apparition mensuelle, le 2 du mois. Le phénomène est rare, mais pas inédit dans l’histoire de l’Église : au Laus (Hautes-Alpes), Benoîte Rencurel a eu des apparitions de la Vierge pendant 54 ans.
En plus des analyses médicales traditionnelles, pour vérifier leur santé mentale, les voyants ont été aussi accompagnés à partir de 1985 par une équipe de scientifiques présidée par le professeur Henri Joyeux. Ces derniers ont pu faire des expériences inédites pendant que les jeunes gens avaient leurs apparitions. Or, les conclusions sont formelles : l’état d’extase ne peut en aucun cas être assimilé à une pathologie, mais correspond à un état de déconnection partielle du monde et de communication cohérente et saine avec une personne qu’eux seuls voient et entendent. En 1998, une équipe austro-italienne a renouvelé de multiples expériences scientifiques sur les voyants et a écarté formellement l’hypothèse d’une ruse consciente ou d’une supercherie.
Le message. Dans les premières années, le dialogue est quotidien et les enfants transmettent régulièrement ce qui leur est dit. Des enregistrements de ces dialogues ont été effectués. Puis, du 1er mars 1984 au 8 janvier 1987 inclus, seuls des messages hebdomadaires sont transmis. Ils sont destinés d’abord aux habitants du village, puis au monde entier. Enfin, à partir du 25 janvier 1987 et jusqu’à ce jour (fin 2018), des messages mensuels sont transmis le 25 de chaque mois. Leur nombre est donc exceptionnel ! Cependant, le message ne peut se réduire à la somme de toutes ces paroles transmises ni même à leur synthèse ou leur résumé.
Le message est avant tout quelqu’un : la Vierge Marie, Mère du Rédempteur, notre Mère, que les voyants appellent la Gospa (Notre Dame en langue croate). Le vocable sous lequel elle se présente est celui de la Reine de la Paix. Ce nom révèle un aspect de son identité, en tant que Mère du Prince de la Paix, et son intention : « Chers enfants, je vous invite à la paix, pour que vous la viviez dans vos cœurs et autour de vous, pour que tous connaissent cette paix qui vient, non pas de vous, mais de Dieu (…) C’est pour cette paix que je suis venue en tant que Mère et Reine de la Paix. » (Message du 25 décembre 1988) La Vierge Marie vient pour nous éduquer à la paix et à la réconciliation, en nous apprenant à revenir à Jésus-Christ qui nous donne la paix, mais pas à la manière du monde (cf. Jean XIV, 27). « La paix soit avec vous » (Jean XX, 19) : ces premières paroles du Ressuscité sont répétées, amplifiées, déployées par la présence de la Reine de la Paix.
Un retentissement exceptionnel. L’ampleur des événements dans l’espace et dans le temps est un autre aspect important du message. Le lieu choisi n’a rien d’extraordinaire, mais il se situe précisément au carrefour des civilisations : entre l’Orient et l’Occident (non loin de la ligne de partage de l’Empire romain en l’an 395), entre les terres chrétiennes – catholiques et orthodoxes – et les terres à majorité musulmane héritées de l’Empire ottoman de l’époque moderne. Il est au cœur d’une région marquée par les guerres du XXe siècle : la Première Guerre mondiale est partie de l’attentat de Sarajevo, un peu plus au nord ; la Seconde vit ici un affrontement violent entre Croates et Serbes ; enfin, la Bosnie-Herzégovine fut le théâtre du plus terrible des conflits issus du démantèlement de la Yougoslavie au cours des années 1990.
La situation de Medjugorje, mais aussi le retentissement du message jusqu’aux extrémités de la terre, répercuté par de très nombreux groupes de prière, donne à ces événements une dimension universelle sans précédent : « Chers enfants, comprenez que Dieu a choisi chacun d’entre vous pour l’utiliser pour un grand plan de salut de l’humanité. Vous ne pouvez comprendre l’importance de votre rôle dans les desseins de Dieu. » (Message du 25 janvier 1987). Si les apparitions durent depuis aussi longtemps, c’est aussi pour que le message rejoigne le plus possible les enfants de Dieu dispersés, les mobilise, et nous fasse entrer dans l’espérance : « J’ai choisi cette paroisse de façon particulière. Elle m’est plus chère que les autres où j’ai été heureuse de séjourner quand le Tout-Puissant m’envoya. » (21 mars 1985). « Je vous invite à devenir les missionnaires des messages que je vous donne ici, à travers ce lieu qui m’est cher. Dieu m’a permis de rester si longtemps avec vous et donc, petits enfants, je vous appelle à vivre avec amour les messages que je vous donne et à les transmettre au monde entier, afin qu’un fleuve d’amour puisse couler sur les peuples remplis de haine et sans paix ! » (25 février 1995)
Medjugorje et Fatima. Les événements de Medjugorje s’inscrivent dans la continuité de Fatima et nous font espérer la réalisation de la grande promesse de Notre Dame le 13 juillet 1917 : « À la fin mon Cœur Immaculé triomphera ! » Ce lien se découvre de façon implicite dans le contenu des messages, qui insiste sur la conversion personnelle, la prière du Rosaire et la prière en général, la nécessité de la confession sacramentelle, du jeûne, de la méditation de la Parole et de la participation à l’Eucharistie. Autrement dit, rien de nouveau n’est inventé, mais l’accent est mis sur la qualité de notre vie spirituelle, que Notre Dame nous invite à vivre avec plus d’audace et de ferveur. Dans quelques messages, le lien avec les apparitions à Fatima est même très explicite : « Je vous invite au renoncement durant neuf jours, de telle sorte qu’avec votre aide, tout ce que je voulais réaliser à travers les secrets que j’ai commencé à Fatima, puisse être accompli. » (25 Août 1991) « Aidez mon Cœur Immaculé à triompher dans un monde de péché. » (25 septembre 1991)
La lumière dans l’obscurité. Le message de Medjugorje insiste sur la violence du combat spirituel et la vigilance à avoir pour répondre à l’appel à la sainteté dans le monde moderne. Tantôt sous la forme d’une parole de consolation et d’encouragement, tantôt par des avertissements, les messages reviennent régulièrement sur la malice de l’Adversaire : « Maintenant comme jamais auparavant, Satan désire montrer au monde son visage honteux par lequel il veut tromper le plus de gens possible et les mener sur le chemin de la mort et du péché. » (25 septembre 1991) Là encore, comme dans tous les messages, il s’agit seulement d’une reprise de ce que Dieu nous a déjà révélé, mais qui a besoin d’être actualisé dans les temps que nous vivons, afin d’être mieux pris au sérieux et pour que tous, nous soyons sauvés. « Chers enfants, aujourd’hui encore je vous demande de me consacrer avec amour votre vie. Ainsi pourrais-je vous guider avec amour. Je vous aime, chers enfants, d’un amour particulier, et je veux tous vous emmener au Ciel vers Dieu. » (27 novembre 1986)
Pour conclure, je voudrais simplement reprendre les paroles de Monseigneur Höser à l’occasion de sa première conférence de presse en avril 2017. L’intégralité de ce discours est disponible dans les compléments : « Le recours à Notre Dame de la Paix est, à mon avis, essentiel. Le rôle spécifique de Medjugorje est (…) extrêmement important. Vous devriez être, chers amis, des porteurs de la Bonne Nouvelle. Dites au monde entier que, voilà, à Medjugorje on retrouve la lumière. Parce nous avons besoin de points forts de la lumière dans le monde qui sombre dans l’obscurité. »